WORKAHOLISME et BURNOUT évalués par des COUPLES
E.GREBOT
institutduburnout@gmail.com
Télécharger en PDF
Qu’est ce que le workaholisme ?
Spence et Robbins décrivent 2 profils wokaholiques et 4 profils non workaholiques en combinant trois dimensions:
- L’implication dans le travail : consacrer tout son temps libre à des activités liées au travail;
- La tendance compulsive à travailler : s’obliger à travailler même si ce n’est pas agréable et ne pas pouvoir se détacher du travail;
- La satisfaction au travail : travailler plus que ce qui est demandé, juste pour le plaisir.
Parmi les workaholiques, les enthousiastes obtiennent des scores élevées (scores supérieurs à la moyenne de leur échantillon) dans les trois composantes de la triade workaholique tandis que les non enthousiastes sont très impliqués avec une tendance compulsive élevée et une faible satisfaction.
Le burnout ou épuisement professionnel
L’épuisement professionnel ou burnout se compose selon Christina Maslach de trois dimensions :
- L’épuisement émotionnel ;
- La dépersonnalisation, cynisme ou déshumanisation
- Une baisse de l’accomplissement personnel ou du sentiment de compétence.
Selon Chistina Maslach, l’épuisement émotionnel initie le phénomène en générant la dépersonnalisation qui entraîne une baisse de l’accomplissement personnel.
Selon d’autres auteurs, c’est la dépersonnalisation qui initie le processus menant à l’épuisement professionnel
Comment est née l’idée de comparer l’auto-évaluation et l’hétéro-évaluation du wokaholisme par des couples ?
Les entretiens cliniques avec des salariés, en entreprise ou en cabinet, donnent à entendre des manifestations de déni du comportement workaholique par le sujet concerné. Ce déni s’exprime sous la forme
- D’une minimisation du fait de travailler excessivement ou compulsivement
- D’une maximalisation de la satisfaction ou de l’épanouissement au travail.
Ainsi, la demande de consultation est souvent à l’initiative de l’entourage personnel (conjoint) ou de l’entourage professionnel (médecins du travail) et ainsi, le consultant n’a pas de motif personnel de consultation.
Une convergence massive des évaluations du workaholisme entre participants et leurs conjoints est observée dans une recherche d’un groupe de chercheurs de l’université de Padoue et intitulée The convergence between self and observer ratings of workaholism : a comparison between couples (Falco et al, 2012). Le conjoint a, selon ces auteurs, une position privilégiée pour constater des comportements dysfonctionnels au travail de son partenaire avec lequel il vit, puisque ce dernier aura tendance à travailler chez lui, au détriment de sa vie de couple, de famille et sa vie sociale, si son comportement relève du workaholisme. Dans la recherche italienne, l’auto évaluation de 486 participants converge avec l’hétéro évaluation de leurs conjoint(e)s en ce qui concernent le travail excessif et le travail compulsif évalués à l’aide de l’échelle Dutch Workaholism Scale (DUWAS). Ainsi est née l’idée de comparer auto évaluation et hétéro évaluation (par le conjoint) du workaholisme et du burnout.
Nous nous demandions si l’auto évaluation du sujet (comment je me vois ?) et l’hétéro évaluation par son conjoint (comment je le vois ?) seraient convergentes si le workaholisme était évalué avec le questionnaire de Spence et Robbins (WorkBat) et non, avec l’échelle Duwas car, le questionnaire de Spence et Robbins permet de différencier 3 profils professionnels (non workaholique, workaholique enthousiaste et workaholique non enthousiaste) tandis que l’échelle DUWAS permet de distinguer uniquement deux profils (non workaholiques, workaholiques).
QUESTIONNAIRES
Evaluation du workaholisme
Le questionnaire de Spence et Robbins (WorkBat) : ce questionnaire a fait l’objet d’une validation française par Grebot et al. (2017) qui concluent que la Workbat permet d’évaluer la Tendance compulsive à travailler (7 items) et la Satisfaction (7 items) et non, l’implication au travail. Le questionnaire de Spence et Robbins comporte 25 items. Les réponses sont données sur une échelle de 1 (totalement en désaccord) à 7 (totalement d’accord).
L’implication au travail est remplacée par l’estimation du Travail excessif à l’aide de l’échelle DUWAS validée en France par Guédon et Bernaud.
L’échelle Dutch Work Addiction Scale (DUWAS): la version française de la DUWAS (Schaufeli et al, 2009) comporte dix items dont cinq évaluent le travail excessif et cinq items estiment le travail compulsif. Les réponses sont données sur une échelle de Likert en quatre points, allant de 1 (presque jamais) à 4 (presque toujours).
Evaluation du burnout : l’épuisement professionnel ou burnout est évalué à l’aide du Maslach Burnout Inventory de Maslach et Jackson (1981), constitué de 22 questions qui a fait l’objet d’une validation française récente (Lheureux et al). L’échelle mesure les trois dimensions de l’épuisement professionnel
- L’épuisement émotionnel (6 items) ;
- La dépersonnalisation (4 items) ;
- L’accomplissement personnel (7 items).
Les réponses sont données sur une échelle en 7 points allant de 0 à 6.
PARTICIPANTS
Nous avons retenus 66 couples dont les participants auto évaluateurs sont majoritairement masculins (64% hommes, 36% femmes), cadres ou entrepreneurs et diplômés d’un master. Ils déclarent travailler en moyenne 50 heures par semaine avec un maximum de 70 heures. Ce temps de travail indique une durée hebdomadaire de travail élevée. Toutefois, la seule composante Travailler excessivement n’est pas prédictive du workaholisme contrairement à la Tendance compulsive à travailler (Taris et al, 2012).
Constitution de trois profils workaholiques
Pour répartir nos participants dans les trois groupes (non workaholiques, workaholiques enthousiastes ou non enthousiastes), nous utilisons la méthodologie de Spence et Robbins où un score faible est un score inférieur ou égal à la moyenne et un score élevé est un score supérieur à la moyenne. Voici les valeurs seuil utilisées :
Nos participants sont répartis en trois groupes à savoir :
- Les non workaholiques
- Les workaholiques enthousiastes
- Les workaholiques non enthousiastes
1. PROFILS WORKAHOLIQUES OU NON
Ces résultats contredisent les données obtenues par les chercheurs de Padoue qui observaient 82 % d’évaluations convergentes entre auto et hétéro-évaluations.
ACCORDS OU DESACCORDS DES COUPLES ?
Nous avons comparé les auto-évaluations et les hétéro- évaluations dans les trois profils auto déclarés.
- Concernant les non workaholiques, 80% sont identifiés non workaholiques par leurs conjoints. Pour les 20% restants, les conjoints les décrivent comme workaholiques enthousiastes.
- Concernant les workaholiques enthousiastes, les auto évaluations et les hétéro évaluations sont convergentes dans la moitié des couples et divergentes dans l’autre moitié. Lorsque les participants se décrivent comme workaholiques enthousiastes, la moitié des conjoints les identifie comme workaholique enthousiaste et l’autre moitié les décrit comme non workaholique. Un seul individu workaholique enthousiaste est décrit par son conjoint comme workaholique non enthousiaste. L’entourage sous estime le workaholisme en qualifiant les workaholiques enthousiastes de non workaholiques. Est-ce la satisfaction des workaholiques enthousiastes qui amène l’entourage à minimiser l’excès de travail et la tendance compulsive à travailler ?
- Concernant les workaholiques non enthousiastes auto déclarés, l’hétéro évaluation est divergente deux fois sur trois (64%) et convergente une fois sur trois (36%).
Quand les couples ne sont pas d’accord, les workaholiques non enthousiastes sont décrits par leurs conjoints comme
• workaholiques enthousiastes (24%).
• non workaholiques (64%).
Dans les couples aux avis divergents, l’entourage minimise le workaholisme des vrais workaholiques dans deux cas sur trois. Est-ce l’insatisfaction caractéristique des workaholiques non enthousiastes qui amène l’entourage à minimiser le travail excessif & compulsif ?
Sur quelle dimension du workaholisme, les couples ne s’accordent-ils pas ?
La comparaison des moyennes ente auto évaluations et hétéro évaluations montre une divergence significative sur la dimension du travail excessif (p<.05) quelque soit le genre du participant et du conjoint.
Des divergences concernent les trois dimensions du workaholisme quand nous comparons les deux évaluations de chaque couple et leurs profils (non workaholiques, workaholiques enthousiastes, workaholiques non enthousiastes).
- Concernant la dimension Travailler excessivement,
• 67% des évaluations sont convergentes
• 33% sont divergentes.
Quand les couples sont en désaccord, les conjoints sous évaluent le travail excessif (96% des cas).
- Concernant la dimension Tendance compulsive à travailler,
• 58% des évaluations sont convergentes
• 42% sont divergentes.
Quand les couples sont en désaccord, les conjoints sous évaluent la tendance compulsive à travailler (82% des cas).
- Concernant la dimension de la satisfaction au travail,
• Trois quarts des évaluations sont convergentes (73%) ;
• Plus d’un quart des évaluations sont divergentes (27%).
Quand les évaluations divergent, le conjoint sur évalue la satisfaction six fois sur dix (61%).
De nombreux patients expriment le fait que
- Leurs conjoints ne comprennent pas leur épuisement dans la mesure où les conjoints travaillent davantage et n’imaginent pas qu’on puisse être épuisés en travaillant moins qu’eux.
- Leurs conjoints les perçoivent comme satisfaits par leur travail car les patients reconnaissent masquer leur manque d’épanouissement personnel ou leur insatisfaction au travail et déclarent « faire bonne mine », « donner le change », « faire comme si ».
Genre et évaluations
Le calcul de test statistique KhiDeux ne montre pas de différence significative d’évaluation selon le genre, de l’auto évaluateur et de l’hétéro évaluateur.
2. BURNOUT : EPUISEMENT PROFESSIONNEL
Une comparaison de moyenne entre auto et hétéro évaluations montre une différence significative sur la dépersonnalisation.
Toutefois, si l’on prend comme critère la moyenne observée par Lheureux et al qui ont validé le questionnaire de Maslach en population française, les divergences sur les trois dimensions du burnout concernent un tiers des couples.
Epuisement émotionnel : les évaluations sont majoritairement convergentes (77%). Quand les évaluations sont divergentes (23%), elles se répartissent équitablement entre une sous évaluation et une sur évaluation des conjoints.
Dépersonnalisation : les évaluations sont majoritairement convergentes (78%). Quand les évaluations sont divergentes (22%), les conjoints sous évaluent la dépersonnalisation.
Accomplissement personnel : les évaluations sont majoritairement convergentes (74%). Quand les évaluations sont divergentes (26%), les conjoints sur évaluent l’accomplissement personnel.
Conclusion sur les composantes du burnout : les évaluations sont convergentes sur les trois composantes du burnout pour trois quarts des couples. Toutefois, un quart des couples apprécie de manière divergente le burnout en minimisant la dépersonnalisation et sur évaluant l’accomplissement personnel.
Conclusion
La comparaison des auto évaluations et des hétéro évaluations par les conjoints du workaholisme et du burnout montrent des divergences d’évaluation concernant les trois composantes du workaholisme et les trois composantes du burnout. Nos résultats contredisent les convergences observées dans l’étude italienne sur le workaholisme.
Cette méthodologie comparative des évaluations des consultants et de leurs conjoints a permis à certains couples :
- De renouer une communication ;
- De partager les difficultés professionnelles ;
- De briser le silence ;
- De décider de ré équilibrer vie professionnelle-vie privée ;
- De stopper le déni du mal être au travail ;
- De prendre conscience du mal être de l’un des membres du couple;
- De reconnaître la surcharge du travail domestique pour les femmes
- D’exprimer un besoin de temps de loisir pour soi ou pour les deux.
Articles en français
Dejours C. Activisme professionnel : masochisme, compulsivité ou aliénation ? Travailler.
2004;11(1):25-40.
Grebot E, Berjot S, Lesage F-X, Dovero M. Schémas précoces inadaptés, activisme professionnel et épuisement professionnel chez des internes en médecine. Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive. 2011;21(2):43-52.
Grebot E. Réflexions sur la notion de workaholisme: Pour une approche transactionnelle. Annales Médico-Psychologiques. 2013;171(2):95-9.
Grebot E, Olivier M, Berjot S, Girault-Lidvan N, Duprez M. Personnalité et activisme professionnel, Annales Médico-Psychologiques 2017,175(6):528-535.
Grebot E, Olivier M. Antécédents cognitifs de l’activisme professionnel, Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive, en soumission.
Guédon D, Bernaud JL. Le workaholisme dans une université Française: Une perspective transactionnelle. Pratiques Psychologiques. 2015;21(1):71-85.
Machado T, Desrumaux P, Dose E. L’addiction au travail: Quels effets de la charge de travail, de la dissonance émotionnelle et du surinvestissement ? Pratiques Psychologiques 2015;21(2):105-20.
Sandrin E, Gillet N, Déterminants et conséquences du workaholisme chez des salariés français.
Psychologie française 2016.
Articles en anglais
Spence JT, Robbins AS. Workaholism. Definition, measurement, and preliminary results. J Pers Assess. 1992;58:160-78.
Falco A, Kravina L, Girardi D, De Carlo N. The convergence between self and observer rating of workaholism : a comparison between couples. TPM 2012;19(4):311-24.
Schaufeli WB, Bakker AB, van der Heijden FMMA, Prins JT. Workaholism among medical residents: It is the combination of working excessively and compulsively that counts. International Journal of Stress Management. 2009;16(4):249-72.
Lheureux F, Truchot D, Borteyrou X, Rascle N. The Maslach inventory –human services survey (MBI-HSS) : factor structure, wording effect and psychometric qualities of known problematic items among a large sample of French healthcare providers, 2017 ; in press.
Taris TW, van Beek I, Schaufeli W.B. Demographic and occupational correlates of workaholism.
Psychol Rep 2012;110, 547-54.
Schaufeli WB, Bakker AB, van der Heijden FMMA, Prins JT. Workaholism among medical residents: It is the combination of working excessively and compulsively that counts. International Journal of Stress Management. 2009;16(4):249-72.